LE COLIBRI ET LA BALEINE, Canada, 2019
De ces phrases qui suivent, je vous en saurais gré, de sentir la poésie de l’atmosphère, qui sembla dénuée de sens à l’instant où je la vécu :
Alors que j’attendais patiemment mon mets japonais, en dégustant ma bière Tofinaise, au chaud dans ce restaurant, je me sentis loin cette pluie, qui était pourtant juste derrière la fenêtre contre laquelle notre table était. Avril avait ouvert ses yeux cinq jours auparavant, et le proverbe se pavanait de son exactitude : ne pas se découvrir d’un fil, (quand ça ?) en Avril. La suite, où la magie opère, fut furtive. Aussi furtive qu’il est, qu’il fut. Qui ça ? Lui, ce colibri, qui butinait les fleurs de ce cerisier égayant la rue. Il était là, sans se soucier le moins du monde de ce qui l’entourait, à passer d’une fleur à l’autre, comme son quotidien le veut.
Reprenons, que je ne vous y perde pas : nous sommes sur une île, au bout d’une péninsule, face au puissant Pacifique et son courroux fortuit. Nous sommes sur une île Canadienne, rien ici ne sonne exotique ou tropical — surtout quand on pense aux salsas endiablées que l’on doit danser pour ne pas être frigorifié lors des hivers impondérables. Sur cette île, nous sommes dans un de ces recoins perdus, accessibles seulement par une route zigzaguante hasardément entre lacs, bras d’océan, et montagnes. Cette ville, nommée Tofino d’après le navigateur espagnol Vicente Tofino, qui fut le premier occidental (ou cul-blanc) à s’émerveiller de ces terres, fût ce jour là grisée par un temps lugubre. Mais ne vous y trompez pas, même si les couleurs semblent avoir disparues pour laisser place à un noir et gris estompés, la ville continue de nous embaumer de son charme. C’est alors, que le décor de la scène surgit en amont, le cerisier arrive. Qu’importe que les couleurs soient absentes, cet arbre n’a pas encore sa chlorophylle. Il n’a que faire d’un manque de saturation verdoyante, puisqu’il n’est recouvert que de pétales, et de pétales blancs. Il est là, avec ses confrères, à lutter contre la gravité, pour grandir toujours plus haut, sans se douter le moins du monde qu’il nourrit nos yeux de douceurs sucrés par sa robe de mariée. Et alors, alors que le vent chuchote, la bruine papillonne, les conducteurs de la rue se font des politesses à la Canadienne, il est là. Insecte à plume ? Oiseau extraterrestre ? Ce colibri ricoche majestueusement d’un pistil à un autre, et l’espace-temps l’entourant ne semble plus exister. Je ne l’aperçue que pour un instant, mais ce fût assez pour me faire oublier le gris, le noir, la pluie, l’année, le temps, l’attente, le froid, le chaud, l’humain, hier et demain.
De ces phrases qui suivent, je vous en saurais gré, de vous laisser porter par le courant calme mais pourtant agité, froid mais pourtant chaud :
L’année a maintenant bien entamé son quatrième mois. Et dans moins de deux semaines, un tier de l’année seront déjà derrière nous. Voilà que le temps ne court plus. En aval, il dévale la montagne plus vite que son ombre. En amont, il avale dans un court laps de temps les secondes. Mais dans cette course contre lui-même, il y a les mardis. Et les mardi, j’anime le jeu du Trivia dans l’auberge de jeunesse où je travaille. Un quizz par équipe, et les gagnants remportent un petit prix. Le mardi, vers 19h30, c’est toujours un peu sans dessus-dessous. Je pars à la conquête de joueurs. Motiver les timides, calmer les effrénés, composer les équipes, regrouper les affamés/retardataires/ ceux qui picolent/mangent/jouent/dorment … Il y a toujours un couple où l’un est motivé et l’autre est mou. Il y a toujours un(e) timide qui frôle les murs, qui ne veut pas jouer mais qui secrètement aspire à se faire des copains. Il y a toujours un(e) relou qui parle trop et que personne ne veut dans son équipe. Il y a toujours ceux qui veulent être ensemble mais qui sont trop nombreux pour une équipe. Il y a ceux qui font leurs rebels et qui ne veulent pas jouer. Mais qui reviennent plus tard pour se joindre à nous, car « ça a finalement l’air super drôle ». Mais ce mardi là (hier soir), c’était cela, en puissance mille. Déjà parce que j’ai convaincu chaque personne de l’auberge de participer. Ce qui fait que nous étions nous étions beaucoup/trop. Puis aussi, parce qu’on passe son temps à me demander quand est-ce que l’on commence et en général je réponds dans une demi-heure « more or less », et ce, pendant une heure-et-demi. Puis lors la partie « composition des équipes », tout le monde ne faisait que vouloir changer. Sans parler de ceux qui veulent absolument jouer mais qui cuisinent ou partent se doucher. Un peu chaotique, je dois dire, j’ai cru que cela ne commencerait jamais. Et alors qu’on y est presque, que je cours chercher les retardataires dans les chambres pour réunir tout le monde, je vois des gens collés aux fenêtres. Tout naturellement, on me dit « oh, il y a des baleines, peut-être trois ». J’oublie tout. J’oublie le retard, j’oublie le jeu. Je sors en courant sous la pluie, je croise Renee qui revenait de son van (une parmi tout ceux que je cherchais pour le jeu, d’ailleurs !) et on part en courant sur le ponton qui est face à l’auberge. Elles sont là. Elles sont vraiment là. Elles existent. Ils n’avaient pas menti. Je tangue sur mon ponton instable, je n’arrive pas à rester debout. Alors je m’assoie, et j’observe. Tranquillement, tout doucement, elles sortent une à une, pour recracher l’air. Le paysage est ici aussi, dénudé de couleur. Tout est gris, il est tard, il pleut, il bruine, et les baleines apparaissent. Elles semblent tachetées de blancs, et de gris clair et foncé, comme le tablier d’un peintre. Le silence semble matérialisé par la brume ambiante. De temps en temps, il est doucement dérangé par un ou deux souffles de monstres marins, qui repartent paisiblement sous l’eau.
Elles vont rester là un bon moment, sans jamais vraiment s’éloigner, sans jamais vraiment s’approcher.
La bruine m’a trempée, ma fiche avec les équipes est mouillée aussi, le devoir m’appelle, je tourne les talons, je dois tout recommencer. Mais le temps est une mystérieuse (in)constante. Depuis des semaines, tout le monde voyait des baleines, des orques, mis à part : moi. Tout le monde m’en parlait, ce qui m’a fait souvent me poser des questions du pourquoi du comment, moi non. Je suis face à l’océan depuis exactement, trois mois, jour pour jour, tous les jours. J’observe, et je sais observer la nature. Mais au lieu de presser les choses, de forcer la destinée, j’ai décidé d’attendre. Cela allait bien finir par arriver. Je dois surement le mériter, je pensais, mais de je-ne-sais quelle manière. J’ai gentiment arrêté de rêver d’elles toutes les nuits. Mais lundi soir, j’ai rêvé qu’elles dansaient pour moi, avec des dauphins. Cela faisait quelques semaines qu’elles n’avaient pas dansé dans mes rêves. Et hier, elles ont dansé pour moi — et le fait que je ne m’y attendais pas/plus, a rendu le spectacle encore plus magique.
Vous avez ici deux images. Vous avez ici deux images qui s’opposent, se conjuguent, se rejettent et s’accompagnent. Les deux images sont presque en noir et blanc. Les deux images sont le calme dans la tempête, la magie où on ne l’imagine pas, le contraste entre l’activité humaine et la nature, un furtif oiseau et un montre marin, le colibri et la baleine.